
Vie, mort et renaissance d’un vignoble : le vin du Blanc(part 2)
On sait parfois peu de choses sur la destinée d’un vignoble, comme pour ce vignoble de l’Indre autour de la ville du Blanc qu’adorait le roi d’Angleterre.
Par Jacques Dupont
Modifié le 14/04/2020 à 11:31- Publié le30/03/2020 à 16:56| Le Point.fr

Laon, Soissons, Orléans, Issoudun…, autant de noms de villes qui, au Moyen Âge ou même plus tard, évoquaient surtout pour les habitants du royaume de Francedes vins et des vignobles. Certains ont totalement disparu, comme celui de Le Blanc dans l’Indre ; d’autres, comme Orléans ou Saint-Pourçain, ont survécu, tout en perdant beaucoup de leur prestige passé.
Il est des vignobles dont on ignore pratiquement tout : comment ils sont nés et comment ils ont trépassé. On sait seulement qu’ils ont existé et qu’ils ont même, à une certaine époque, connu une grande notoriété. C’est le cas par exemple de celui situé autour de la ville de Le Blanc, dans le département de l’Indre, en bord de Creuse, dont Roger Dion nous dit qu’il produisait « au XIIIe siècle un vin qui, dès les environs de l’année 1230, jouissait en Angleterred’un prestige comparable à celui des vins de Bordeaux, d’Anjou et d’Auxerre ». Exporté par la Loire et l’océan, il bénéficiait de la protection du roi Henri III.
Au royaume de France, même le bon Saint-Louis cassa sa tirelire pour offrir à la noblesse réunie à Saumur du vin du Blanc lors de la cérémonie pour conférer la chevalerie à son frère Alphonse de Poitiers en 1241. Comme c’est loin tout ça, disait Alphonse Allais. Après, plus rien ou pas grand-chose. À peine un siècle plus tard, quand éclate la guerre de Cent Ans, on ne parle déjà plus des merveilles du Blanc. Que s’est-il passé, on n’en sait rien.

À cet endroit, on se situe à une bonne quarantaine de kilomètres en amont de la zone navigable de la Creuse et l’on peut supputer que des crues, des accidents ayant rendu encore plus difficile l’embarquement des vins, aient contraint les vignerons à abandonner la partie. Il n’existe sur place plus aucune trace de cette histoire vinicole. Quelques siècles plus tard, Jacques Peuchet, dans son Dictionnaire universel de la géographie commerçanteparu l’an VII (1799), ignore complètement cette activité passée. Mais il formule une suggestion qui sonne juste : « On croit aussi qu’il serait possible et même facile de tirer un canal depuis Pouilly, sur la Loire, jusqu’au Blanc, sur la Creuse ; et au moyen de ce canal, qui traverserait la province de Berri, on ferait communiquer par un chemin beaucoup plus court les rivières d’Eure, de Cher, d’Arnou, d’Indre, de Creuse, etc. Ce canal, qui aurait environ 30 lieues de longueur, par la ligne droite, serait de la plus grande utilité. » Trop tard !
Des difficultés d’acheminement
Non loin, cependant, près d’Argenton-sur-Creuse, un autre vignoble, celui de Menoux, avait lui aussi cessé d’émettre après la crise du phylloxera à la fin du XIXe. Puis, un jour, Claude Lafond, vigneron célèbre de Reuilly décédé brutalement en 2015, en visite chez un caviste découvre des photos anciennes des coteaux en vignes du Menoux. « C’est parti comme ça. Il a fallu monter un groupement foncier, aller voir de vieilles dames qui avaient encore des parcelles ! » raconte son fils Sylvain. Il est vendu aujourd’hui en IGP val de Loire.
Les mêmes causes ayant pour habitude de produire les mêmes effets, les difficultés d’acheminement ont coûté la vie à d’autres vignobles. Ce fut le cas du vin de Clamecy, célébré par Romain Rollanddans son roman Colas Breugnon. Le vignoble planté près du village de Tannay, dans une zone où, avant le creusement du canal du Nivernais, l’Yonne n’était pas navigable et se contentait du flottage des bois pour le chauffage des Parisiens, a lui aussi périclité. Il a fallu beaucoup d’énergie à quelques vignerons pour maintenir l’activité vigneronne mise à mal ensuite par le phylloxera et même la relancer. Ce fut l’œuvre au départ de Georges Moreau, ancien résistant chef du maquis du Loup dans le Morvan, qui proposait des vins en bouteille dans ses caves du XVIe siècle au cœur de Tannay. C’est là que s’est installée depuis une minicoopérative fondée par quelques amis. Sous la dénomination IGP coteaux de Tannay, elle propose des rouges et des blancs issus des cépages chardonnay, melon, pinot noir. On y rencontre également quelques indépendants comme Pierre Hervé, ancien instituteur, « ni du pays ni du métier » qui refont vivre ces coteaux qui dominent l’Yonne du côté d’Asnois, où est enterré Paul-Jean Rigollot, l’inventeur du cataplasme à la moutarde utilisé jusque dans les années 1960 pour soigner rhume et bronchite. C’est dans cette région que serait né ce cépage melon, celui-là même qui produit du côté de Nantesle muscadet.