
Le procureur spécial Robert Mueller, à Washington, le 20 juin 2017.
Donald Trump tente de décrédibiliser l’enquête sur une collusion présumée entre son équipe de campagne et la Russie.
“Chasse aux sorcières”. Donald Trump a utilisé une quinzaine de fois en mai sur Twitter cette expression pour évoquer l’enquête du FBI, le service de renseignement intérieur, menée par le procureur spécial Robert Mueller. Cet ex-directeur du FBI (2001-2013), à l’impeccable réputation, a été nommé par le ministère de la Justice, le 17 mai 2017, afin de faire la lumière sur une possible collusion entre l’équipe de campagne du candidat républicain et le gouvernement russe.
“L’enquête russe” obsède Donald Trump. “Inutile, dégoûtante et illégale” : il n’a pas de mots assez durs contre elle. Lundi 4 juin, son travail de sape est allé encore plus loin. Dans un nouveau tweet, le président a jugé toute la procédure “INCONSTITUTIONNELLE”. En lettres capitales.
Son message faisait suite à une tribune publiée plus tôt par le Wall Street Journal, le quotidien des affaires, dans laquelle Steven Calabresi, juriste conservateur, mettait en cause la légalité de l’enquête, son responsable n’ayant pas été confirmé à son poste, selon lui, par le Sénat.
Plus tôt, Donald Trump avait déjà surpris en assurant, sur la foi de l’expertise de “nombreux juristes éminents”, qu’il avait, selon lui, “le droit absolu de (se) GRACIER”. Ou, pour le dire autrement, qu’il était au-dessus des lois.
Avec cette avalanche de messages, le président des Etats-Unis donne la nette l’impression de se sentir menacé. Pourtant, rien n’est venu accréditer, jusqu’à présent, la thèse d’une collusion directe entre le Kremlin et le magnat de l’immobilier pour faire perdre la démocrate Hillary Clinton.
19 personnes inculpées
De telles révélations seraient de nature à nourrir une destitution du président par le Congrès. Le lancement de cette procédure d'”impeachment” avait acculé Richard Nixon à la démission, en 1974, lors de la célèbre affaire du Watergate.
Dix-neuf personnes et trois sociétés ont été inculpées dans le “Russiagate”. Quatre membres de la campagne de Trump sont concernés : son ex-directeur de campagne, Paul Manafort, et son associé, Richard Gates, ainsi que deux ex-conseillers, George Papadopoulos et Michael Flynn. Les trois derniers ont accepté de coopérer avec la Justice. Mais leurs mises en accusation ne relèvent pas, pour l’heure, d’une collusion directe avec la Russie.
Alors qu’il vient d’entamer sa deuxième année d’investigation, Robert Mueller garde la plus grande discrétion sur ses découvertes. Donald Trump n’a cependant pas attendu qu’il dévoile son jeu pour sonner la charge et tenter de faire disparaître par tous les moyens légaux cette épée de Damoclès.
Pour ruiner l’enquête russe, les républicains espèrent beaucoup du rapport que doit bientôt rendre le patron des “boeufs-carottes” du ministère de la Justice, l’inspecteur général Michael Horowitz. Cet homme à la réputation impeccable – comme Robert Mueller – doit dévoiler quelles libertés les équipes du FBI ont prises avec la réglementation, et si elles peuvent être de nature à saper le bien-fondé d’investigations lancées dès 2016.
L’un des plus haut placés de ses enquêteurs, Peter Strzok, et une avocate du “Bureau”, Lisa Page, liés par une relation extraconjugale, ont ainsi échangé des centaines de messages révélant un possible biais politique. Ils évoquent, entre autres, la nécessité de “protéger le pays de la menace” représentée par les “acolytes” du magnat, traité de “crétin”. Afin de préserver son enquête, Mueller les en a exclus en juillet dernier.
Perturber le travail du FBI
Le camp Trump bataille pour soumettre les limiers eux-mêmes à des enquêtes et à d’éventuelles poursuites. Sous la pression de parlementaires républicains qui ne réclamaient pas moins que la nomination d’un procureur spécial en parallèle de Mueller, le ministre de la Justice, Jeff Sessions, a confié en mars à un procureur fédéral de l’Utah, John Huber, le soin d’examiner les éventuels manquements commis par le FBI. Son autorité judiciaire s’ajoute à celle, plus administrative, de Michael Horowitz, avec lequel il échange.
Donald Trump ne rate aucune occasion de perturber le travail du FBI. Il a ainsi crié mi-mai à l'”assassinat politique” : la presse venait de révéler qu’un informateur de la CIA, agissant dans le cadre de l’enquête du FBI, avait approché des membres de son équipe de campagne. Le président a dans la foulée convoqué manu militari le ministre adjoint de la Justice, Rod Rosenstein, et obtenu qu’il élargisse à de telles accusations l’inspection menée par Horowitz.
Rien ne dit que les investigations d’Horowitz et d’Huber profiteront à Trump. Loin de mettre tous ses oeufs dans le même panier, le businessman n’a pas oublié d’engager une équipe d’avocats prêts à contester la moindre requête de Robert Mueller. Si ce dernier tente de l’assigner à comparaître, en tant que simple témoin, devant un grand jury, le président pourrait opposer son refus en faisant valoir que cela entame sa capacité à diriger le pays. Les textes sont si imprécis que seule la Cour suprême pourrait, en dernier recours, trancher la validité d’une telle requête.
Donald Trump devrait plutôt être entendu dans le cadre d’un entretien négocié. L’un de ses avocats, l’ex-maire de New York, Rudy Giuliani, prétend qu’il serait prêt à l’accepter, s’il se limite à deux volets : la collusion et l’obstruction. Robert Mueller cherche en effet à déterminer si le limogeage avec fracas, en mai 2017, de l’ex-patron du FBI James Comey, relève d’une entrave au travail de la Justice de la part du président – ce renvoi a mené à la nomination comme procureur spécial de Mueller.
Limoger Mueller ?
L’immunité et l’inviolabilité du président des Etats-Unis, à la différence de son homologue français, ne sont pas inscrites noir sur blanc dans la Constitution. La question de savoir si le président peut être mis en accusation divise les plus éminents juristes américains. Deux mémos du ministère de la Justice, rédigés lors du scandale du Watergate et de l’affaire Monica Lewinsky, du nom de cette stagiaire avec laquelle Bill Clinton avait eu des relations sexuelles dans le bureau Ovale, concluent que le président ne peut pas faire l’objet de poursuites. Mais ils n’ont pas l’autorité d’une décision de la Cour suprême.
Comme Bill Clinton avant lui, Donald Trump pourrait faire l’objet d’un impeachment : seul un vote du Sénat a permis de mettre fin, en 1999, à la procédure visant le démocrate. Si les républicains perdent la majorité au Congrès lors des élections de novembre, une destitution n’est pas à exclure… à supposer que l’enquête du FBI se révèle accablante.
Pour éviter un tel engrenage, le président pourrait limoger Mueller et le remplacer par un homme lige. Cela ne risque pas d’être nécessaire. Et pour cause : à peine 44 % des Américains estiment l’enquête russe “justifiée”, et 53 % sont convaincus qu’elle possède des “motivations politiques”, selon un sondage réalisé pour CBS. Contre la “chasse aux sorcières”, Donald Trump a gagné la bataille de l’opinion. Pour le moment.